Paroles

Des témoignages d'habitants de Gaza et de Cisjordanie

Depuis le début de la génocide, je suis restée dans le nord, je ne me suis pas déplacée vers le sud, même si je voyais la mort passer à côté de moi chaque jour. Plus de 700 jours d’agression, à compter les jours, en espérant que ça se termine. Aujourd’hui, pour la deuxième fois, je vois les gens fuir vers le sud, angoissés, effrayés...J’aurais tellement voulu qu’on reste ensemble, pour que ce qui s’est passé la première fois ne se reproduise pas. Mais je me dis ensuite… les gens sont excusables. Beaucoup vivent dans des tentes dans le nord…Alors, qu'elle est la différence entre une tente au nord ou une tente au sud ? C’est la même douleur. J’ai préparé ma valise, ne pas pour aller vers le sud mais j'avais peur de quitter ma maison les mains vides, comme avant.En préparant mes affaires, une boule me serrait la gorge… Comment peut-on mettre toute une maison dans une valise ? Comment emporter ses souvenirs dans quelques morceaux de tissu ?Et mes tableaux… comment les prendre avec moi ? Chaque tableau peint sur du verre porte une part de mon âme…Comment les emporter sans qu’ils se brisent, comme se sont brisés ceux d’avant, emportant avec eux tout l’amour que j’avais mis dans chaque trait, et dans chaque couleur ?

Et mon chat, Rony…Un bonheur qui marche sur quatre pattes — il est avec moi depuis 5 ans. Une âme qui a survécu avec moi plus d'une fois. Quand les croquettes sont venues à manquer (même si j'avais prévu le coup, la guerre a duré trop longtemps), je l'ai nourri avec notre propre nourriture, mais il faisait le difficile 😅 … et il reste toujours aussi gâté Comment pourrais-je l’abandonner ? Et comment pourrais-je l’emmener avec moi ? Supportera-t-il le déplacement, la peur, le froid ? Et même si je parvenais à tout prendre – ce dont je doute –

Le déplacement vers le sud est extrêmement difficile.Dès le moment où l’on décide de partir, jusqu’à l’arrivée… tout est souffrance : l’effort, les coûts, l’inconnu. Et là-bas ? Une autre tente, qui ne me protège ni du froid, ni de la chaleur, ni des éclats d’un bombardement proche… Ils disent que c’est une « zone sûre »…Mais ce n’est ni sûr, ni vivable.Pas d’eau, pas d’égouts, même pas un endroit où acheter ce qui nous manque.Ce n’est pas une vie digne d’un être humain. Même les animaux ne pourraient pas vivre ainsi. Le monde entier compatit avec les animaux de Gaza… mais personne ne ressent notre douleur. Nous sommes des êtres humains, comme vous. Peut-être même plus forts que vous, parce que nous nous sommes forcés à endurer bien au-delà de nos limites.

Mais, par Dieu, nous n’en pouvons plus. Mon seul souhait aujourd’hui : rester dans ma maison,Et que Gaza puisse dormir une nuit, une seule nuit, sans bombardements, sans peur…Mais j’ai l’impression que ce souhait est le plus difficile à réaliser au monde…

Rawan N.El Shawa Voix OFF en arabe et français - Créatrice digitale - Habitante de Gaza nord

A young person wearing traditional clothing, including a white thobe and a red and white checkered keffiyeh. Palm trees are in the background, creating a natural setting.